23, rue Visconti



L'actuel immeuble du 23, rue Visconti, coté rue. Extrait de la brochure publicitaire, 1968, BHVP, cliché BER.



Histoire

L'histoire de la parcelle du 23, rue Visconti se confond avec celle du petit Pré-aux-Clercs : en 1540, Pierre le Clerc obtient de l'Université, propriétaire du terrain, le droit de le gérer. Pierre le Clerc y découpe un certain nombre de lot dont le tracé est encore aujourd'hui visible sur le cadastre. Le lot qui nous concerne contient à l'origine le terrain des actuels 30 et 32, rue Jacob, 21, rue Bonaparte et 23 et 25, rue Visconti. Lorsqu'en 1552, Pierre le Clerc rétrocède l'ensemble du Pré-aux-Clercs à l'Université, cette parcelle est encore à l'état de terrain vague.


Premier découpage du petit Pré-aux-Clercs en 1543. La parcelle de l'actuel 23, rue Visconti est hachurée
et faisait partie d'un grand terrain (en jaune clair) qui coiffait le pâté de maisons coté rue Bonaparte.


Cette portion de terrain n'est finalement accensée qu'en 1565. Le 21 février de cette année-là, Alexandre Sapin, écuyer et seigneur de Beaulieu, en fait l'acquisition, à charge pour lui d'y bâtir avant cinq ans, et moyennant 9 sols parisis de cens et 12 livres de rente annuelle. Dans l'acte dressé à cette occasion, il est dit que « ladicte place de terre est à prendre du costé des fossez de l'abbaye Saint-Germain des Prez [la rue Jacob], depuis la maison appartenant aux héritiers feu Jean Bigaut [maison du 21 rue Visconti-28 rue Jacob], jusques à la première borne faisant séparation du grand et du petit Pré aux Clercs, le chemin entre deux, mise [la borne] et assize sur lesdits fossez, du consentement de ladicte Université, suivant l'arrest de la cour du parlement, et tirant audîct grand Pré, faisant séparation de ladicte place et du champ tendant desdicts fossez à la rivière de Seyne [rue Bonaparte], d'autre costé à la rue des Marais, depuis le coing du jardin desdicts héritiers Bigaut jusques audict grand champ qui faict séparation desdicts deux prés. »

Si Sapin paya ses cens, i1 ne semble pas qu'il respecta la clause relative aux constructions à faire, car lorsqu'il revend son terrain, le 5 février 1584, à Christophe Le Mercier, maître maçon, il était encore vide ; et le nouveau preneur dut s'engager à y bâtir réellement dans l'année. Le nouveau propriétaire fait bâtir deux maisons sur son terrain, l'une sur la moitié donnant sur la rue Bonaparte (correspondant aujourd'hui aux parcelles des 32, rue Jacob, 21, rue Bonaparte et 25, rue Visconti), l'autre sur la moitié orientale de sa propriété, c'est à dire sur le terrain qui correspond aujourd'hui aux parcelles du 23, rue Visconti et 30, rue Jacob. Il revend la première maison à Baptiste du Cerceau (architecte du Pont-Neuf) le 11 novembre 1584 et s'installe dans l'autre. C'est ainsi que la parcelle originelle (en jaune clair sur le schéma ci-dessus) est divisée en deux. Il est à noter que cette maison a son entrée rue Jacob avec des jardins derrière, donnant sur la rue Visconti.

Lorsque Christophe Le Mercier décède, sa veuve se remarie avec Marin Bricard puis le couple vend la maison le 11 juillet 1602 à Jean Béddée, Sieur de la Gourmandière, Avocat au Parlement. L'un de ses fils récupère la maison en 1662 à l'occasion d'une licitation, puis la vend le 20 février 1669 à Alexandre-Simon Bolé Sieur de Champlay. Son fils, le sieur Louis-Jules Bolé, Marquis de Champlay en hérite et revend la maison le 3 juillet 1715 à Pierre Lerigot de la Ménardie, Receveur Général des Finances. Par adjudication, elle passe aux mains de Jean-Louis l'Heraud de Saint Germain et sieur de Grand-Menil le 15 février 1720 puis est vendue à Robert Langlois de la Fortelle, Président de la Chambre des Comptes et à Messire Pierre Langlois de la Fortelle, Abbé de Bourras, Conseiller au Parlement le 23 février 1724. Ils en étaient encore propriétaires en 1753.


Cadastre du 30, rue Jacob levé par Philibert Vasserot au début du XIXe siècle. L'entrée de la parcelle se situe rue du Colombier (rue Jacob, en bas)
avec le bâtiment principal sur rue alors que le jardin et les bâtiments secondaires donnent sur la rue des Marais (rue Visconti, en haut).
Archives Nationales, reproduit pour www.ruevisconti.com.


La liste des propriétaires suivants n'est pas encore établie. Tout juste sait-on qu'un certain Mr Cellot en est propriétaire au début du XIXe siècle et qu'il est fait état d'un Mr Gosselin, propriétaire de l'immeuble en 1814 dans les sommiers fonciers des Archives de la Ville de Paris. C'est Mr Demanche qui en est le propriétaire au début du XXe siècle.



Immeuble du 23, rue Visconti, en 1967, vu en direction de la rue de Seine en haut et en direction de la rue Bonaparte, en bas
(Archives de Paris, cliché BER).


Au cours de la première moitié du XXe siècle, la parcelle du 30, rue Jacob contient un petit immeuble d'un niveau avec comble donne sur la rue Visconti. Il abrite notamment la Librairie Espagnole de 1862 à 1955 (voir la fiche sur les métiers d'autrefois). En mars 1966 la SEGIRAPP, une société immobilière, achète séparément la moitié de la parcelle coté rue Visconti. La société lance dès le mois suivant une étude de reconstruction de la parcelle menée par l'architecte Mélicourt.


Vue du 23, rue Visconti en 1966. La photo est prise depuis l'immeuble du 24, dont on voit certains éléments en bleu. Le 21 est surligné en vert, et le 25 en rouge. Le 23 avait un bâtiment bas sur la chaussée et quelques édifices dans la cour.


A cette époque, le bâtiment est jugé « sans intérêt historique ». Le passage d'entrée donne accès à une cour ouverte bétonnée et partiellement couverte dans sa partie postérieure. Dans la cour, il y avait un plusieurs locaux de dépôt ainsi qu'une menuiserie qui occupait un petit local de moins de 20 m². Enfin, à droite, il y avait un bâtiment de 4 étages qui servait d'ateliers. Ce bâtiment est dans un état de délabrement avancé : le plancher du grenier est en partie effondré et est étayé par des pièces de bois d'une solidité précaire. Les photos nous montrent aussi (voir la galerie plus bas) que le toit est fortement endommagé, les architectes parlent même de « ruine partielle » des parties supérieures. Il n'y a qu'un seul WC, situé au rez-de-chaussée.

L'état dans lequel se trouve le bâtiment favorise plutôt le projet de démolition. Cependant, la Ville de Paris et le Préfet sont extrêmement attentifs au projet de reconstruction proposé par Mélicourt. Celui-ci veut en effet créer un bâtiment directement sur la rue de 23 logements et 20 places de parking. L'architecte envisage ainsi de remplacer le bâtiment ancien d'un niveau par une façade aussi haute que le 21 ou le 25.

Cela provoque une polémique au sein des différents organismes de contrôle. Certains voudraient imposer un retrait de 3 mètres environ sur la chaussée pour aérer la rue et par respect envers les habitants de l'immeuble d'en face qui risquent de se retrouver avec un vis-à-vis déplaisant. Ils soulignent aussi le caractère obligatoire de ce retrait (hauteur du bâti = largeur de la rue est une "règle à laquelle on ne déroge pas").

D'autres contestent ces arguments et font remarquer que le retrait de ce seul immeuble (il n'est pas question de démolir les 21 et 25 dans un avenir proche) serait une incitation au stationnement sauvage et ne favoriserait pas la circulation. Ils ajoutent aussi que ce retrait dégagerait de disgracieux murs pignons de part et d'autre de la parcelle.


Croquis de situation lors de l'étude du dossier de demande de permis de construire en 1966. Un retrait de 3 m par rapport à la chaussée est alors imposé, mais sera finalement discuté et abandonné.


Le Préfet de Paris fait alors au promoteur une proposition astucieuse et qui a le mérite d'être claire : soit il construit un bâtiment dans l'alignement (sans retrait) mais celui-ci devra être bas (deux étages maximum), soit il construit un bâtiment haut, mais avec le retrait imposé, soit enfin, il construit dans l'alignement un bâtiment dont les étages supérieurs sont en retrait.

Comme nous pouvons le voir aujourd'hui, c'est la troisième solution qui a été retenue : le rez-de-chaussée est dans l'alignement, mais le premier étage est en retrait, dégageant une sympathique terrasse.


Façade sur rue dans le projet final du 23, rue Visconti.


La démolition du bâtiment et le creusement du parking déstabilisent gravement l'immeuble du 21, rue Visconti dont certains propriétaires ont vu les poutres de leur plafond manquer de dégringoler, tant le mur mitoyen du 21 a penché vers le 23 ! Une importante batterie d'étais est installée pour soutenir le vieil immeuble qui se stabilisera finalement avec la construction du nouvel édifice.


Deux vues des étais sur le 21 et le 13, rue Visconti vers 1970. Vue depuis le coté rue de Seine à gauche (Archives de Paris, Cliché BER), et vue depuis le coté rue Bonaparte, à droite, avec les palissades du chantier du 23 au premier plan à droite (Bois gravé de Constant le Breton).

La Segirapp baptise son immeuble « Le Visconti » et fait paraître en octobre 1968 un plaquette et une publicité (voir dans la galerie) pour le faire connaître. Le texte de la publicité vantant le nouveau bâtiment dit en substance « Vivre entre la Seine et le Boulevard Saint-Germain, en plein coeur du Bourg Saint-Germain, c'est le privilège réservé aux habitants du 23, rue Visconti, une rue calme et fraîche, pleine de souvenirs du Vieux Paris ». Et la plaquette publicitaire de conclure : « Le 23 de la rue Visconti est une adresse exceptionnelle, réservée à ceux qui aiment vivre avec leur temps, dans un cadre où le passé est toujours jeune et vivant [sic] ».

Pour appuyer encore leur argumentaire et séduire les clients potentiels, les promoteurs n'hésitaient pas à dire que le 24, rue Visconti, en face, donc, allait être démoli pour faire un square...

Baptiste Essevaz-Roulet
(courriel : b.essevaz-roulet@ruevisconti.com)

Galerie

L'immeuble du 23, rue Visconti aujourd'hui.
Porte du 23, rue Visconti, aujourd'hui.
Le 23 puis le 21 rue Visconti (à droite de l'image) en juin 1914 par Pottier.

Publicité pour le 23 au moment de sa construction en 1968. Paru dans "Connaissance des Arts".
L'actuel immeuble du 23, rue Visconti, coté rue. Extrait de la brochure publicitaire, 1968, BHVP, cliché BER.
L'actuel immeuble du 23, rue Visconti, coté jardin. Extrait de la brochure publicitaire, 1968, BHVP, cliché BER.
Plan de situation du projet en 1966 et discussion sur le retrait qui doit être imposé aux promoteur par rapport à la chaussée.
Projet final de la façade sur rue.
Projet final des façades sur cour.
Vue du 23 rue Visconti depuis l'immeuble du 24, en 1966.
Bâtiment sur cour du 23, rue Visconti en 1966.
Entrée du 23, rue Visconti, en 1966.


Contact : webmaster@ruevisconti.com