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Petite histoire de la rue Visconti
Histoire des équipements et de l'insalubrité






Plaques de la rue

Mine de rien, la petite rue Visconti est équipée de 6 plaques portant le nom de la voie, 7 si l'on compte celle qui a été retirée, côté rue Bonaparte. L'histoire de ces plaques se confond avec celle de toutes les rues de Paris.

Pour commencer, une ordonnance de police du 30 juillet 1729 oblige les propriétaires des maisons d'encoignure, à l'occasion de travaux, à faire vérifier l'alignement des murs de façades et à placer de part et d'autre de l'angle, une pierre de liais portant gravés le nom de la rue et le numéro du quartier1. Ce n'est pas la première fois que le nom des rues est écrit in situ : un an et demi avant, en janvier 1778, l'administration avait décidé de fixer les noms des voies de la ville en les inscrivant au coin de chaque rues sur des écriteaux en fer blanc peints2.

En 1755, Adam Louis Vatboy Dumetz de Ferrière fait précisément refaire le mur de sa maison de la rue des Petits Augustins (rue Bonaparte) qui fait le coin sud de la rue des Marais3. Il fait vérifier par un expert l'alignement des façades à respecter sur chaque rue, et se plie à l'obligation de l'ordonnance en faisant poser deux plaques de pierres de liais d'« un pouce et demy [4 cm] d'épaisseur » portant le nom des rues et le numéro de quartier.


Plaques de pierre de liais posées en 1755, et plaque émaillées plus récentes.
Angle sud de la rue Bonaparte et de la rue Visconti. Cliché BER


Le numéro « 20 » correspond au numéro du quartier. Celui de Saint-Germain-des-Prés était le dernier4 selon la répartition de Paris en 20 quartiers de Police de 17022.


Les 20 quartiers avant la révolution de 17894.
Le quartier Saint-Germain-des-Prés est le 20e et dernier.
Archives Nationales, cliché BER.


Aujourd'hui, 4 plaques en métal émaillé ornent la rue Visconti. Côté rue Bonaparte, l'une (côté nord) est de type ancien, l'autre, côté sud, est beaucoup plus récente, et masque une plaque plus ancienne. Côté rue de Seine, deux plaques d'aspect récent sont installées, mais sont abîmées, probablement par le passage des véhicules hauts qui doivent manœuvrer serré à cet endroit pour réussir l'épreuve de sortie de la rue par son côté le plus étroit.




Angle rue Bonaparte (en haut pour l'angle nord, en bas à gauche pour l'angle sud) et vers la rue de Seine, côté sud (en bas au milieu) et côté nord (en bas à droite). Clichés BER.


Curieusement, sur certaines plaques, Louis Tullius Joachim Visconti y est décrit comme étant l'auteur du tombeau de Napoléon, œuvre pourtant mineure ou anecdotique dans sa carrière. Louis Visconti a en effet été Architecte du Gouvernement puis Architecte de l'Empereur Napoléon III et il a acquis sa notoriété en tant qu'architecte du Nouveau Louvre. Il est vrai qu'a sa mort, ses travaux ont été repris puis considérablement modifiés par Lefuel5. Il existait une autre plaque, côté nord, plus basse que l'actuelle, mais elle a été retirée ou subtilisée… On la voit sur un cliché datant des années 1980.


Plaque supplémentaire qui a été retirée pour une raison inconnue. Cliché JL Fromenty.




Numérotage des immeubles

L'identification des maisons de Paris par un numéro est relativement récente. Avant que le numérotage soit généralisé et pratique courante, on ne donnait que le nom de la rue pour repérer une maison, et éventuellement la position de la maison dans la rue (« au milieu de la rue », « première porte cochère à droite », « maison faisant l'angle »…). Dans les actes où la maison doit être localisée plus précisément, on indique le nom des propriétaires voisins.

Par exemple, sur une déclaration de 1734, les religieuses de la Visitation Sainte-Marie situent leurs deux maisons de la rue des Marais (les anciens immeubles 13 et 15 de la rue Visconti) en écrivant « tenant lesdites deux maisons d'un côté au jardin des ayants cause de Mr le président de Luçon, d'autre au sieur Cazin Me maçon, par derrière au jardin de Madame Lamy et par devant sur ladite rue des Marais »6.

Le tout premier numérotage date du début du XVIIIe siècle2 et ne concernait que les maisons des faubourgs au delà des actuels boulevards. A la fin du XVIIIe siècle, l'idée d'utiliser le numérotage a fait son chemin, et l'on commence à penser à l'étendre à la Ville entière.

Le besoin de numéroter les maisons est aussi relayé par les éditeurs des almanachs afin de mieux identifier les personnes listées dans ces ancêtres du Bottin. En 1778 par exemple, l'almanach édité par la Veuve Mangeot tente de localiser les maisons en donnant le numéro « des lanternes les plus proches de la personne dénommée », et, faisant allusion aux faubourgs où les maisons sont numérotées, ajoute qu'il « serait à souhaiter qu'elles le fussent toutes » pour le reste de Paris.

En 1779, un nommé Marin Kreenfelt de Storcks, « chargé d'affaires de l'Electeur de Cologne »40 et simple particulier, prend l'initiative personnelle de numéroter les maisons avec l'autorisation tacite de l'administration, pour faire comprendre aux habitants de Paris ainsi qu'aux étrangers l'intérêt d'identifier les maisons de la sorte. Il lance donc à l'assaut de la capitale plusieurs commis qui peindront un numéro sur les façades au dessus et à côté de chaque porte.

Ce numérotage, dit « numérotage Royal » est censé apparaître dans l'almanach de Watin daté de 17887, bien connu des historiens topographes. L'almanach cite pour chaque rue de Paris les habitants les plus notables en utilisant, a priori, les numéros de Kreenfelt pour identifier les maisons. En ce qui concerne la rue des Marais, il dit absolument n'importe quoi (voir l'encadré)...

Watin démasqué !

Les historiens topographes considèrent l'almanach de Watin comme la référence en matière de numérotage Royal car il donne l'adresse des personnages importants à Paris avec le numéro de maison en les classant par rue. Sauf que pour la rue Visconti, Watin donne, dans son édition de 1788, des numéros tellement fantaisistes qu'on les croirait tirés au hasard : trois notables sont associés au même numéro alors qu'ils habitaient trois maisons différentes, le 14 est voisin du 21, etc.

Plusieurs auteurs ont semble-t-il constaté ailleurs des inexactitudes similaires, au point que Dumolin, cité par Jeanne Pronteau, estime que ce numérotage est en grande partie fictif et serait « une invention de l'auteur »2. Les almanachs édités par Lesclapart40, consultés à la BHVP, donnent en revanche les bons numéros pour les mêmes locataires que le Watin, en cohérence avec les autres indices à notre disposition.

Non seulement les numéros du Watin ne sont pas corrects, mais en plus le sens de la numérotation est différent. Jeanne Pronteau note que « conformément aux explications données par Watin, le numérotage était effectué, dans chaque rue, en commençant à gauche par le n°1 et en affectant successivement toutes les portes des maisons jusqu'à l'extrémité de la rue ; il était poursuivi, en retour, sur le côté droit de la voie, jusqu'à ce que l'on se retrouvât en face du n°1 (...). On avait donc un numérotage (...) fait par portes et non par maisons »2.

Or, notre reconstitution fait apparaître un numérotage commençant par la droite de la rue, avec une incrémentation par maisons et non par portes (on retrouve le même nombre d'adresses qu'aujourd'hui, là où Watin en comptait 35). Pour couroner le tout, le Watin fait commencer son numérotage par la rue de Seine, là où nous trouvons qu'il débute rue Bonaparte. Masson a également noté que les deux numérotages « ne concordent pas »39.

Le numérotage de la rue Visconti a-t-il été effectué de manière différente des autres rues ? Watin a-t-il inventé les numéros de la rue parce qu'il les ignorait ?


Heureusement, les almanachs de Lesclapart et d'autres sources ponctuelles nous permettent de reconstituer ce numérotage. Le
Dr Poumiès a écrit au XIXe siècle dans ses notes9 que la maison de l'actuel numéro 21 portait le numéro 2 et, sur les livres de Louis-Marie Prudhomme édités à la fin du XVIIIe siècle, on peut lire « 20, rue des Marais » alors qu'il habitait l'actuel 18. Enfin, on distingue un numéro 19 raturé sur la feuille du sommier foncier29 consacrée au 16, rue Visconti et un numéro 20 sur celle consacrée au 18. Ces données sont croisées et complétées par les recherches effectuées par Masson39 sur les locataires du quartier. Les numéros non cités peuvent être facilement extrapolés ce qui nous permet, pour la première fois, de reconstituer le numérotage Royal pour la rue Visconti.



Indices épars des anciens numérotages. A gauche une couverture d'un livre édité par Prudhomme avec comme adresse le 20, rue des Marais (actuel 18, rue Visconti). A droite, de haut en bas : ratures sur la page de l'actuel 21, rue Visconti dans le sommier foncier29. Extrait d'une fiche manuscrite du fonds Masson39 qui fait correspondre, pas toujours de façon correcte, plusieurs numérotages, ici pour l'actuel 25, rue Visconti. Unique rature du sommier foncier29 faisant apparaître le numérotage Royal : on voit un « 20 » sous le numéro de l'actuel 18, rue Visconti.



Numérotage Royal reconstitué.


Numéros, mode d'emploi, en 1781.

Dans l'almanach de Lesclapart de 1781, l'éditeur fait figurer pour la première fois les numéros des maisons en plus du nom de la rue. Afin de bien expliquer à ses lecteurs à quoi ces numéros correspondent et à quoi ils servent, il écrit en préambule :

« Les numéros appliqués sur les maisons dans plusieurs rues ont été employés avec soin par l'Editeur, pour indiquer d'une manière plus précise, la demeure des personnes qui ont eu la bonté de lui envoyer ceux de leur demeure ; il profite de cette occasion pour les en remercier, et engager toutes celles qui prennent part à cet ouvrage d'en user de même à l'avenir, d'autant mieux qu'ils serviront à éviter la confusion, lorsqu'il se rencontrera plusieurs personnes du même nom dans la même rue, comme il en existe déjà ».


Toujours est-il que, bien qu'officieuse et solitaire, l'initiative de Kreenfelt a été finalement adoptée par les parisiens qui ont été convaincus de son utilité. Pourtant, après 1789, un nouveau système, le « numérotage officiel révolutionnaire », est imposé par décret de l'Assemblée constituante du 23 novembre 1790 dans le but de recenser les propriétés soumises à l'impôt. Ce système est basé sur l'utilisation d'une seule série numérique par section (en gros de la taille d'un demi arrondissement actuel) et la rue Visconti était dans la section 408 appelée section de l'Unité.


Après la révolution (ici vers 1790), Paris est divisée en sections (celle de la rue Visconti porte le numéro 40) et le numérotage commence à la première maison et fini à la dernière de la section. Archives Nationales8, cliché BER.


Les maisons étaient numérotées à la peinture, du numéro 1 jusqu'à la dernière maison de la section2 et des immeubles de la section portaient des numéros supérieurs à 15009 ! Le numérotage révolutionnaire a pu être partiellement reconstitué grâce au sommier foncier29 qui comporte encore quelques indications raturées mais lisibles. Les maisons de la rue Visconti étaient ainsi numérotées (à peu près) de 1287 à 1317 à partir de la rue Bonaparte le long du côté nord, puis de la rue de Seine à la rue Bonaparte pour le côté sud, de telle sorte que le premier numéro de la rue fait face au dernier.



Le système de numérotage révolutionnaire totalement inadapté et malcommode (la rue Saint-Denis avait 5 maisons portant le numéro 1 !) fut décrié tant et si bien qu'un nouveau projet de numérotation fut lancé vers 1800 et aboutit en 18052.

Par décret du 4 février 1805, le gouvernement jette les bases du système moderne et établit les principes encore aujourd'hui en vigueur. Ces principes sont2 :
• Une seule série numérique par rue,
• Un seul numéro par maison : si la maison a plusieurs portes sur la même rue, elles auront toutes le même numéro,
• Séparation des numéros pairs (à droite) et impairs (à gauche),
• Numérotation dans le sens amont aval de la Seine pour les rues parallèles au fleuve et commençant du plus proche de la Seine vers le plus éloigné pour les rues perpendiculaires au fleuve.
Les numéros étaient peints en noirs et étaient destinés à tenir 3 ans, leur entretien était à la charge du propriétaire.

L'ensemble du numérotage est revu entre 1847 et 1851 d'une part parce que les numéros étaient devenus illisibles et de présentation disparate, d'autre part pour prendre en compte les nombreux lotissements de parcelles. A cette occasion, la présentation du numéro est standardisée : toutes les plaques sont réalisées par la manufacture de faïence Fouque et Arnoux et sont en porcelaine cuite avec chiffres blancs sur fond bleu azur, le tout incrusté dans un bain de plâtre et scellé sur les façades à l'aide de crampons de bronze2. La rue Visconti est renumérotée en juin 18499 : les plaques standardisées sont posées et le 17bis devient l'actuel 19, et le 19 devient le 21, etc. Il ne reste aujourd'hui que 9 de ces plaques en porcelaine.




Les dernières plaques anciennes en porcelaine de la rue Visconti, datant de 1849. Clichés BER.


Le numérotage de 1849 est (presque) restée inchangée depuis. Seuls les numéros 8 et 10 semblent avoir évolués. Le 8 et l'entrée du 10 ont en effet été démolis là où se trouve aujourd'hui le square Bernard Palissy. L'entrée du 10 se fait donc par le 12. Le numéro 8, inutilisé, a été récupéré en décembre 2005 pour numéroter l'entrée d'un appartement (qui dépend du 20, rue de Seine) situé dans l'immeuble du 6, rue Visconti !



Eclairage de la rue

Les premiers arrêts du parlement concernant l'éclairage public à Paris datent du XVIe siècle (en 1524 et en 1558 notamment). Ils enjoignent aux bourgeois d'entretenir à leurs frais une chandelle à la fenêtre de leur demeure. En 1667, à l'arrivée de La Reynie au poste de lieutenant général de police, la réglementation devient plus rigoureuse et la police s'affirme42. Les effets se font immédiatement sentir; Madame de Sévigné écrit alors : « Nous trouvâmes plaisant d'aller ramener Madame Scarron, à minuit, au fin fond du faubourg Saint Germain fort au delà de Madame Lafayette, quasiauprès de Vaugirard dans la campagne…Nous revînmes gaiement à la faveur des lanternes dans la sûreté des voleurs. » Peut-être venaient-elles de l'hôtel de la Rochefoucault, rue de Seine ?

A partir de 1766, de Sartine, lieutenant général de la police fait installer des réverbères à huile qui remplaceront avantageusement les chandelles vacillantes. Pourtant, en 1842 Balzac s'en plaint dans son ébauche de roman Valentine et Valentin43 et réclame les réverbères à gaz que l'on commence à déployer dans Paris depuis 1820 : « la ville de Londres fut éclairée au gaz en 18 mois, et [après] 15 ans une seule moitié de Paris est en ce moment éclairée par ce procédé miraculeux. La rue des Marais fait partie de la moitié qui conserve le hideux réverbère [à huile] ».

L'éclairage au gaz de la rue Visconti est finalement réalisé le 21 juin 18449. Cinq lampes à gaz sont visibles sur la photo de Marville prise en 186810. Une sixième est installée à l'angle de la rue Visconti et de la rue de Seine sur le n°1. Ces lanternes sont encore visibles sur le cliché de Blancard datée de 188711.


Cinq des 6 lanternes à gaz de la rue Visconti. Photographie de Marville en 1868 (détail). Collection de la BHVP, cliché BER.


Au tournant du siècle, de nouveaux réverbères à gaz sont installés pour remplacer les 6 premiers. Ce sont ceux que l'on voit sur les photos d'Eugène Atget en 1910 et Pottier12 et de l'UPF13 en 1914. D'après les différentes photos disponibles, on en dénombre 5 ou 6 pour toute la rue : un vers le 7-9 ou 11, le suivant est à côté de l'entrée du 12, un autre au coin du 15 et du 17, un autre au coin du porche du 22, puis un à droite de l'entrée du 21, et le dernier un niveau du mur du 26. On voit encore une de ces lanternes sur un cliché de René-Jacques en 193914.



Réverbères à gaz. 1914. BHVP et Archives de Paris.


On sait qu'en 1941, un éclairage électrique est réalisé « avec le matériel de fortune disponible à l'époque »15 (on est en pleine guerre mondiale).


Appareils électriques d'éclairage, installés en 1941 dans la rue Visconti16.


Il semble que seules 3 appliques aient été installées. Elles éclairent puissamment mais inégalement la rue. La lampe vers la rue Bonaparte a été installée sur le côté impair, elle éclaire le côté pair où il n'y a pas d'entrée d'immeuble. L'entrée du 23 et 21 sont plongées dans le noir favorisant les rencontres désagréables et dangereuses15.


Extrait d'une lettre de Louis Branche (15 février 1949) déplorant l'inefficacité de l'éclairage de 194115.


Les éclairages seront donc revus en 1949 où des crosses légères seront substituées aux appliques16. On aperçoit ensuite sur les photos des années 1960 et 1970, différents types d'éclairage électrique.


Eclairage à la fin des années 60 (à gauche17, cliché BER) et à la fin des années 70 (à droite18).

Dans les années 1990 enfin, les réverbères sans âme et donnant une lumière blafarde sont remplacés par 11 « consoles Marais » (uniquement sur le côté pair de la rue) plus élégantes et de style plus parisien, diffusant une lumière mieux répartie et plus chaleureuse. Ces consoles contribuent largement à l'embellissement de la rue Visconti.


Console « Marais » sur le mur mitoyen du 22-24, rue Visconti (BER16). Croquis préparatoire16 (milieu) et le poteau, sous la neige16 (à droite, cliché BER).



Chaussée et trottoirs

Il n'est pas aisé de connaître le statut de la chaussée de la rue à plus d'un siècle de distance ! Pourtant, on sait d'après Franklin41 qu'« un arrêt du parlement, qui d'ailleurs resta lettre morte, avait ordonné en 1544, de paver la rue de Seine. (...) En 1551, aucune des rues du faubourg Saint-Germain n'étaient pavées ». Il est probable que la rue ait été finalement pavée au XVIIe siècle, peut-être avec du pavé de rebut, avec un égout (on dirait un caniveau aujourd'hui) au milieu de la chaussée. Nous n'en avons aucun témoignage. Dans ses notes, le Dr Poumiès de la Siboutie indique que la rue a été pavée en 18449. Il peut donc s'agir d'un repavage général de meilleure qualité.

En 1845, un programme de création de trottoirs avec dallage en granit est mis en place. Il est obligatoire et les coûts sont à la charge des propriétaires de chaque maison pour la section qui les concerne. La motivation de chaque propriétaire étant variable, la création des trottoirs s'étalera de l'été 1845 à l'été 1846, à l'exception notable du 17-19 et des immeubles formant les coins de la rue19.


Etude préalable des trottoirs du 17 (aujourd'hui 17-19) rue Visconti en 1870. Archives de Paris19, cliché BER.


A cet égard, le Dr Poumiès de la Siboutie notera avec amertume en 1844 que l'absence de trottoirs au bord des maisons d'angle transforme les deux débouchés de la rue en réceptacle de toutes les immondices du voisinage et des passants9. Côté rue Bonaparte, les trottoirs ne seront réalisés qu'en 1850, côté rue de Seine en 1859 et il faudra attendre 1870 pour que le trottoir soit construit devant le 17-1919.


La rue Visconti pavée et équipée de trottoirs. Photographie de Marville en 1868 (détail)10. BHVP, cliché BER.

La chaussée est repavée et les trottoirs refaits en 1901 sur toute la longueur de la rue20. Mais quelques années plus tard, la chaussée s'est considérablement dégradée, sans doute faute d'entretien. En 1904, Mr Dagoury, propriétaire du 21, rue Visconti décrit ainsi l'état de la chaussée : elle « sert de réceptacle habituel aux eaux ménagères qui, s'infiltrant entre les pavés, finissent par imprégner le sol et dégagent des odeurs fort désagréables et nuisibles à la santé publique. D'autre part, dès que le temps est humide, ladite chaussée se recouvre d'une boue noire et gluante qui rend la marche fort difficile »19.

Il envoie une plainte sous la forme d'une pétition signée de 74 propriétaires et locataires de la rue pour demander que soit réalisé dans le plus bref délais l'asphaltage qui permettrait d'imperméabiliser la chaussée.


Détail de la pétition envoyé à la Préfecture de la Seine. Archives de Paris19, cliché BER.

L'inspecteur Général de la Voie Publique constatera le bien fondé de la demande dans son rapport à la Préfecture de la Seine ("le soleil n'arrive jamais jusqu'au sol de la voie publique, et, chaussée et trottoirs sont constamment humides"). La préfecture donnera son accord de principe en juillet 190419. Faute de budget immédiatement disponible, la rue Visconti ne sera asphaltée qu'un an plus tard, à partir du 25 juin au 1905 (la rue sera barrée à la circulation pendant une vingtaine de jours).

La chaussée ne sera ni retouchée ni entretenue pendant les 25 années suivantes, au point que Mr Branche, le beau-frère de Mr Dagoury, déplorera, dans une lettre adressée au conseil municipal, le mauvais état de la chaussée, caractérisé par l'érosion de l'asphalte au bord des trottoirs et l'apparition de trous qui gênent le roulement des véhicules. Il obtiendra gain de cause après l'été 192920.

L'asphaltage de la rue Visconti a été depuis mainte fois refait depuis et la chaussée est actuellement en très bon état.


La rue Visconti fraîchement goudronnée en 1977. Pavillon de l'Arsenal18.



Eau gaz égouts

En 1850, une conduite d'eau est posée dans toute la longueur de la rue et deux bornes fontaine sont installées à ses extrémités9. Les particuliers n'en profiteront pas tout de suite. L'immeuble du 21 par exemple ne sera raccordé à l'eau courante que la 1er octobre 1852 à la demande du propriétaire9.


Branchement dans les caves de l'immeuble du 21 au réseau d'eau potable dans la galerie sous la chaussée. Cliché BER.

De même, le gaz qui a été installé dans la rue le 21 juin 1844 pour l'éclairage de la voie, ne sera installé dans l'immeuble du 21 que 12 ans plus tard, le 9 février 18569.

En ce qui concerne les égouts, l'arrêté d'autorisation pour la création d'un collecteur sous la rue est signé le 27 décembre 1894. La Ville de Paris achèvera les travaux le 17 mai 189521.

Le raccordement des maisons au collecteur est obligatoire et à la charge des propriétaires de chaque maison. La construction de l'ensemble des branchements sera achevée le 5 octobre 189521.


Coupe de raccordement du collecteur de la rue Visconti à celui de la rue Bonaparte (à droite) et à celui de la rue de Seine (à gauche).
Section d'Assainissement21, cliché BER.




Insalubrité

A voir la rue Visconti aujourd'hui, il est difficile d'imaginer que bon nombre de ses immeubles ont été insalubres ! Pourtant, l'histoire ancienne comme l'histoire récente nous rappelle que, à un moment ou à un autre, près de la moitié des bâtiments de la rue ont été vétustes ou sur le point de s'effondrer.

Le 14 et 16 à l'abandon

Le 22 août 1760, une expertise22 des deux maisons du 14 et 16, rue Visconti issues de la succession de Louvencourt décrit l'état des bâtiments et des réparations urgentes à y faire. Même si le mot n'est pas employé, elles sont dans un état d'insalubrité évident. Le mur qui sépare les deux maisons est, en particulier, en très mauvais état : il penche vers le 16 de 50 cm environ à partir du deuxième étage. Certains planchers ont aussi perdu leur horizontalité et un plafond a même perdu une poutre qui est cassée en son milieu (au second étage du 16).

La description des bâtiments donne l'impression que les bâtiments ont été laissés à l'abandon pendant plusieurs années : le revêtement des façades tombe en morceaux, des fenêtres ne ferment plus et leurs carreaux de verre sont cassés, manquants, ou tellement sales qu'ils sont devenus opaques, les petites tomettes du sol sont déchaussées, cassées ou absentes et dans la cour, les eaux de pluies stagnent entre les pavés disjoints ou manquants.

Les experts préconisent d'importants travaux de rénovation, dont la reconstruction du mur mitoyen qui penchait, à partir du second étage, et 10 ans plus tard, une autre expertise23 nous indique que les travaux ont été réalisés puisque les deux maisons sont décrites comme étant en excellent état.

Le 18 sur le point de s'effondrer

Début février 1790, c'est l'imprimeur-libraire Louis-Marie Prud'homme qui réclame une expertise24 de la maison qu'il vient d'acheter au 18, rue Visconti : il est inquiet des désordres qu'il y a constaté et souhaite que les réparations soient prises en charge par le vendeur.

Les experts constateront qu'effectivement, la poutre horizontale au dessus du passage de porte cochère (le « poitrail ») et qui porte les trois étages du dessus est complètement pourrie et doit être remplacée d'urgence, sous peine de voir l'édifice s'effondrer. Ils préconiseront aussi la réfection des piles des poutres verticales et d'une partie du toit.

Les propriétaires du 21 rechignent à assainir la cour

En 1893, la commission hygiène du 6e arrondissement épingle les propriétaires du 21, rue Visconti pour l'insalubrité de la cour25. D'après la commission, le « grattage des murs à vif et peinture des murs sur cour avec bouchage des crevasses [est indispensable] afin d'obvier à l'accumulation des dépôts d'ordures et de poussières malsaines qui vicient l'atmosphère de l'immeuble ». Mais le pire est sans doute que « les urines [des cabinets d'aisance du fond de la cour] continuent à couler en dehors jusqu'au passage de porte cochère » et comme les pavées sont disjoints voire manquants, « l'eau ne s'écoule plus ».

La commission déposera une plainte à la préfecture de la Seine et Mr Dagoury, le beau-fils du Dr Poumiès de la Siboutie, en contestera la teneur, mais effectuera les travaux petit à petit, si bien que le conseil de Préfecture n'abandonnera les poursuites qu'au début de l'année 1900, soit 7 ans plus tard.

La paupérisation de la moitié est de la rue

La fin du XIXe siècle marque le début d'une longue période de décadence pour la rue qui ne prendra fin que tard dans les années 1970.

Jusqu'au début du XXe siècle, l'industrialisation croissante a poussé de nombreux propriétaires de la rue à louer ou à vendre leur maison à des artisans (reprographie, imprimerie, serrurerie…) qui ont dégradé les vieux immeubles de résidence en construisant de nombreux ateliers dans les cours et en délaissant l'entretien des bâtiments26. La moitié est de la rue en particulier, s'est ainsi petit à petit paupérisée, les logements étant pour la plupart loués à des gens à petits revenus (chaudronnier, blanchisseuse, typographes…). En 1910, Georges Cain (conservateur du Musée Carnavalet) en parle ainsi : « ce sont surtout des gargotiers, des tenanciers de garnis et des charbonniers détaillant la "blanquette de Limoux à 10 centimes le verre" qui y ont aujourd'hui élu domicile »27.

De manière concomitante, le prolongement de la rue de Rennes jusqu'à la Seine à travers la rue Visconti pèse comme une épée de Damoclès depuis 1866. Les propriétaires des immeubles concernés par une éventuelle expropriation voient leur bien dévalué et cherchent à le rentabiliser en le transformant en immeuble de rapport occupés à ras bord (le petit immeuble du 11, rue Visconti contient jusqu'à 16 logements !) en évitant au maximum de les entretenir28.

La Ville de Paris finira par acquérir de 1914 et 192629 les immeubles des numéros 1 à 19 pour le côté impair et 2 à 16 pour le côté pair. Mais comme le projet de prolongement reste en suspens, la Ville n'entretient pas les bâtiments qui petit à petit se dégradent.

Les deux immeubles qui sont le plus en mauvais état sont le 8 et le 13, rue Visconti qui menacent de s'effondrer et doivent être étayés. D'après les différents clichés photographiques disponibles, on compte 3 étayements successifs en travers de la rue s'appuyant sur le 8 pour soutenir le 13 ou l'inverse, puis s'appuyant sur le 10 pour soutenir le 15, des années 30 aux années 70. Le premier étayement est visible dès 1939 sur un cliché de René-Jacques30.


Etaiement du 8 rue Visconti. Photo (détail) de René-Jacques, 1939, BnF30.

En janvier 1942, au 13, rue Visconti, le bâtiment principal sur rue est démoli18.


Démolition du 13 rue Visconti en janvier 1942. Collection photographique du Pavillon de l'Arsenal18.


Démolition partielle du 13, rue Visconti en janvier 194218. Façade sur cour en mai 194318.

On ignore pour l'instant à quelle époque l'immeuble du 8, rue Visconti a été démoli… Toujours est-il que rien ne changera jusqu'à la fin des années 1960 : immeuble à moitié démoli au 13, batterie d'étais en travers de la rue et tristes palissades de bois forgeront l'identité de la rue Visconti pendant un quart de siècle.

Dans le Guide Pratique à travers le Vieux Paris, le Marquis de Rochegude écrira au sujet de la rue « les logements y sont fort vétustes et assez insalubres. (...) Le pittoresque n'est qu'une écorce de luxe qui couvre à peine beaucoup de misère »31.

Au cours des années 1960, plusieurs études sont menées pour transformer cette partie si décrépie de la rue et l'état des lieux, préalable aux réflexions, est sans appel.

Maurice Berry, Architecte en chef des Monuments Historiques, préconise la démolition des immeubles 5, 7, 9, 11, 13 et 15, rue Visconti « habités de la façon la plus navrante » et qu'il considère comme étant « la partie la plus insalubre de l'îlot »17. Il qualifie les bâtiments restants au 13 comme étant dans un état de « totale insalubrité ». Les architectes chargés du projet de reconstruction du 13 et du 15 écrivent en 1972 que les anciens bâtiments « sont en très mauvais état et demandent à être démolis d'urgence »28.


Cour du 13, rue Visconti en 1972. La cour est entièrement occupée par des ateliers vétustes.
Le bâtiment principal sur rue a été démoli en 1942. Archives de Paris28, cliché BER.

En ce qui concerne le 11, rue Visconti, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il s'en est fallu de peu qu'il ne disparaisse aussi. En effet, en 1963, l'immeuble est qualifié de « bâtiment vétuste appelé à disparaître dans le cadre du projet d'extension de l'école des Beaux Arts » (finalement abandonné) par l'architecte Voyer en chef. En 1964, le même estime qu'il serait « contraire à l'urbanisme de vouloir prolonger l'existence de [ces] locaux insalubres ». Il rajoute qu'en outre, « la présence actuelle d'un étaiement [suite à la démolition du 13] de ce bâtiment déclaré en état de péril prouve que seule sa démolition est à envisager »32.

La démolition est finalement écartée en 1965, mais la direction de l'Urbanisme rappellera en 1967 que « cet immeuble se trouvait dans un état d'insalubrité et d'abandon très grave »28.

Même l'immeuble du numéro 9 est considéré comme étant « en très mauvais état » par Berry, Architecte en chef des Monuments Historiques28. Finalement, seuls les numéros 13 et 15 seront totalement démolis au début des années 1970 pour que soient créés la Résidence Visconti et la crèche28. La parcelle du 8 restera sous forme de terrain vague masqué par une palissade de bois et utilisé comme parking sauvage pendant encore 25 ans.

A la même époque, le petit bâtiment du 23 rue Visconti est démoli et dans l'attente de la reconstruction, des palissades de bois masquent le chantier. Les travaux d'excavation pour créer le parking souterrain déstabiliseront gravement les fondations du 21, rue Visconti. Le mur mitoyen glisse en effet de plusieurs centimètres vers la parcelle voisine au point que les habitants du 21 voient les solives de leur plafond être prêtes à tomber. Pour éviter l'effondrement, une impressionnante batterie d'étais est installée s'appuyant sur l'immeuble du 24. Contemporain des autres étais, ils ont aussi contribué à donner un caractère de désolation à la rue.


Deux vues des étais sur le 21 et le 13, rue Visconti vers 1970. Vue depuis le côté rue de Seine à gauche (Archives de Paris28, Cliché BER), et vue depuis le côté rue Bonaparte, à droite, avec les palissades du chantier du 23 au premier plan à droite (Bois gravé de Constant le Breton16).

Du strict point de vue de l'insalubrité, l'immeuble du 22, rue Visconti a aussi été sauvé de la ruine au début des années 196033 et aujourd'hui encore, le bâtiment sur rue du 12, rue Visconti est dans un état inquiétant, une large fissure ornant le dernier étage côté cour. Tous les autres immeubles ont été petit à petit rénovés. A titre d'exemple, le 21, rue Visconti a été en travaux pendant près de 15 ans (de 1988 à 2003 environ), chaque appartement et partie commune étant tout à tour l'objet d'indispensables travaux d'aménagement et de rafraîchissement34.

Dans le milieu des années 1970, la rue Visconti est malgré les aménagements toujours considérée comme étant « une venelle un peu sale, un peu grise »33 et peu fréquentable, au point que l'on évite d'y passer la nuit tombée, histoire d'éviter les rats qui sortent des égouts35. Les passants l'appellent alors « la rue de la pisse »36, ou « la rue des crottes »37 à cause des chiens qu'on emmène « promener » dans cet espace calme et isolé.

Vers 1988, les « moto-crottes » font leur apparition dans la rue Visconti et la nettoient « toutes les deux heures »38, au moins au début, en tout cas quotidiennement. Cela fini par culpabiliser les propriétaires de chiens.

La rue Visconti fait finalement peau neuve avec l'installation d'un nouvel éclairage qui souligne le caractère « vieux-Paris » de la voie. L'ouverture du square sur l'emplacement du bâtiment du 8 achève de donner un charme nouveau au lieu, les branches de l'érable sycomore -qui poussait sauvagement depuis les années 1985 derrière la palissade- ajoutant une touche de verdure finalement indispensable à l'achèvement du tableau. En 450 ans d'histoire, la rue Visconti n'a jamais été aussi belle qu'aujourd'hui.

Baptiste Essevaz-Roulet
(courriel : b.essevaz-roulet@ruevisconti.com)



Références

1. Danielle Gallet-Guerne, Les alignements d'encoignures à Paris. Permis délivrés par le Châtelet de 1668 à 1789 (Y 9505A à 9507B), Paris, 1979, p.9
2. Jeanne Pronteau, Numérotage des maisons de Paris, 1966.
3. Archives Nationales, Y 9506B
4. Nicolas de Fer, Nouveau plan de Paris..., Paris, 1697. BnF C&P Ge CC 1252.
5. Délégation à l'Action Artistique de la Ville de Paris, Visconti 1791-1853, 1991.
6. Archives Nationales, S2837
7. Watin, Etat actuel de Paris, Quartier Saint Germain, 1788.
8. Archives Nationales, N III Seine 965.
9. Notes du Dr Poumiès de la Siboutie, Archives privées.
10. BHVP, GP XXIV 50
11. BHVP, Paris Album 4° 22, 91
12. BHVP, collection photographique
13. Archives de Paris, collection UPF
14. B.n.F., Estampes & Photographies, Va 269K Fol H49641
15. Correspondance entre la Direction de la Voirie et Louis Branche (1948), Archives privées
16. Archives privées
17. Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine
18. Collection photographique du Pavillon de l'Arsenal
19. Archives de Paris, V.O11 3954
20. Notes de Mr Antoine Branche, Archives privées.
21. Archives de la Section d'Assainissement de la Circonscription Sud.
22. Archives Nationales, Z1J 861, 22 août 1760
23. Archives Nationales, Z1J 945, 15 février 1771
24. Archives Nationales, Z1J 1202, 8 février 1790
25. Lettres de la Préfecture et rapports de la commission d'hygiène, Archives privées.
26. Entretien avec Jean-Marie Le Breton
27. Georges Cain, Promenade dans Paris, 1910
28. Archives de Paris, 1178 W 1260.
29. Archive de Paris, sommier foncier, DQ18 328 et 1294
30. René-Jacques, 1939, BNF, VA-269K Fol H49641.
31. Marquis de Rochegude, Guide Pratique à travers le Vieux Paris, 1958
32. Archives de Paris, 1178W 19
33. Entretien avec Mr et Mme Appert, 2006.
34. Entretien avec Malvidia Dieguès, 2005
35. Entretien avec Pierre Segrétain, 2005
36. Entretien avec Serge le Guennan, 2005
37. Entretien avec Constance B., 2005
38. Entretien avec Michel ER, 2005
39. Archives de Paris, Collection Masson (archives topographiques), D23 Z1 et D23 Z3
40. BHVP, Almanachs Leclapart, 1789 (cote 903 131) et 1791 (cote Z198) ; les références précédentes ne donnent pas de numéro.
41. Franklin A., Etat, noms et nombre de toutes les rues de Paris en 1636, Paris, Léon Willem, 1873
42. L'éclairage à Paris, Henri Maréchal, 1894
43. La Comédie Humaine, Balzac, Tome 12, page 356, Gallimard, 1981